Réflexions catholiques sur la Communion anglicane

J’ai l’honneur de présenter au Dr Rowan Williams, archevêque de Cantorbéry, à chacun d’entre vous présents ici, et à tous les participants à cette Conférence de Lambeth d’une si grande importance, les salutations du Pape Benoît XVI et de tous les membres du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens. Nous sommes tous avec vous en ces journées, dans nos pensées et dans nos prières, et nous voulons vous dire notre profonde solidarité dans vos joies comme dans vos soucis et vos tristesses.

Permettez-moi de commencer en exprimant mes remerciements à l’archevêque de Cantorbéry et au personnel de coordination des relations œcuméniques au palais de Lambeth et au Bureau de la Communion anglicane, pour l’invitation à prendre part à cette importante réunion et pour la possibilité qui m’est donnée de vous présenter quelques réflexions sur nos soucis communs. C’est une des forces de l’anglicanisme que, même dans les circonstances les plus difficiles, vous soyez attentifs aux points de vue et aux perspectives de vos partenaires œcuméniques, même quand vous n’avez pas particulièrement goûté ce que nous avons dit. Mais soyez assurés que ce que je vais vous dire, je vais le dire au titre d’ami.

Lorsque j’ai vu que vous me proposiez comme sujet « Réflexions catholiques romaines sur la Communion anglicane », j’ai pensé que vous auriez pu en choisir un plus facile ! C’est là un titre très général, recouvrant bien des aspects historiques et doctrinaux, et je ne peux qu’en aborder quelques-uns. Mais il me semble aussi qu’il y a dans le titre une question cachée, demandant ce que les catholiques pensent, non pas tant de la Communion anglicane que de la Communion anglicane dans les circonstances actuelles. J’imaginerais aisément quelque question moins dérangeante.

Ma communication sera divisée en trois sections : une rétrospective sur nos relations dans les années récentes ; des considérations ecclésiologiques à la lumière de la situation actuelle au sein de l’anglicanisme ; et une brève réflexion sur les questions sous-jacentes aux controverses et points de dissension au sein de l’anglicanisme, en particulier ceux qui ont eu des conséquences sur vos relations avec l’Église catholique. Dans la conclusion, je proposerai une réponse à une question tout à fait inattendue que m’a posée, il y a quelques mois, l’archevêque de Cantorbéry, et qui m’a beaucoup intrigué, à savoir, quelle sorte d’anglicanisme voulez-vous ? Quelle question ! J’espère que vous avez vous-mêmes la bonne réponse… Et quels sont les espoirs de Église catholique pour la Communion anglicane dans les mois et les années à venir ? Ici la réponse est plus facile : nous espérons que nous ne nous éloignerons pas les uns des autres, et que nous resterons capables de poursuivre un dialogue sérieux à la recherche de la pleine unité, pour que le monde puisse croire.

I. Regard général sur les relations dans les années récentes

Je voudrais dans cette première partie nous rafraîchir la mémoire, de peur que nous n’oubliions ce que, et tout ce que, nous avons déjà réalisé en ces quarante dernières années. Lorsque le Concile Vatican II, dans son décret sur l’œcuménisme, porta son attention sur les « nombreuses Communions (qui s’étaient) séparées du Saint-Siège » au XVIe siècle, il reconnut que « parmi celles qui gardent en partie les traditions et les structures catholiques se distingue la Communion anglicane » (Unitatis redintegratio, 13). Cette affirmation est fondée sur une compréhension ecclésiologique selon laquelle, de la perspective catholique, la Communion anglicane contient des éléments significatifs de l’Église de Jésus-Christ. Dans leur Déclaration commune de 1977, l’archevêque de Cantorbéry Donald Coggan et le Pape Paul VI ont spécifié quelques-uns de ces éléments ecclésiaux quand ils écrivaient : « Dès lors que l’Église catholique romaine et les Églises de la Communion anglicane ont cherché à progresser dans la compréhension mutuelle et la charité chrétienne, elles en sont arrivées à reconnaître, à apprécier, dans un sentiment d’action de grâces, une foi commune en Dieu notre Père, en Jésus-Christ notre seigneur et en l’Esprit Saint, et à en exprimer leur action de grâce ; pour notre baptême commun en Christ ; notre partage des Saintes Écritures, le fait que nous avons en commun les Saintes Écritures, le symbole des Apôtres et celui de Nicée, la définition de Chalcédoine et l’enseignement des Pères ; notre héritage chrétien qui a été commun pendant de nombreux siècles, avec ses traditions vivantes quant à la liturgie, la théologie, de la spiritualité et la mission » (1).

Dans ce texte, nous pouvons entendre l’archevêque Coggan et le Pape Paul VI marquer ce qui est le fondement commun, la source commune et le centre de l’unité déjà existante mais encore incomplète : Jésus-Christ, et la mission d’amener à lui un monde qui a si désespérément besoin de lui. Ce dont nous parlons n’est pas une idéologie, une opinion privée que l’on peut partager ou non ; c’est la fidélité à Jésus-Christ tels qu’en témoignent les Apôtres, et à son Évangile qui nous a été confié. Dès le début, il nous faut donc garder à l’esprit ce qui est en jeu lorsque nous nous mettons à parler de fidélité à la tradition et à la succession apostoliques, lorsque nous parlons du triple ministère, de l’ordination des femmes et des commandements moraux. Nous ne parlons de rien d’autre que de la fidélité au Christ lui-même, qui est notre unique maître commun. Et que pourrait être notre dialogue sinon une expression de notre intention et de notre désir d’être entièrement un en lui, afin d’être pleinement des co-témoins de son Évangile ? On a souvent dit, mais il vaut la peine de le redire, que le dialogue a été renforcé par le désir d’être fidèle à la volonté exprimée par le Christ que ses disciples soient un, tout comme lui est un avec le Père ; et que cette unité était directement liée à la mission du Christ, la mission de Église à l’égard du monde : qu’ils soient un, pour que le monde puisse croire. Notre témoignage et notre mission ont été très sérieusement handicapés par nos divisions, et c’est par fidélité au Christ que nous nous sommes engagés dans un dialogue basé sur l’Évangile et sur les anciennes traditions communes, dont le but était une unité visible. Pourtant l’unité n’était pas, et n’est pas, une fin en soi, mais bien un signe et instrument de recherche de l’unité avec Dieu et de la paix du monde.

Avec cela en tête, quand nous regardons en arrière pour voir ce que la Commission internationale anglicane-catholique (ARCIC) a réalisé dans les quatre dernières décennies, nous pouvons dire avec confiance qu’elle a vraiment produit de bons fruits. En sa première phase (1970-1981), l’ARCIC a étudié La Doctrine eucharistique (1971) (2) et Ministère et ordination (1973) (3), et, dans chacun des deux domaines, elle peut être satisfaite d’avoir atteint un accord substantiel. La réaction catholique officielle (1991) (4), tout en requérant une étude plus approfondie sur chacun de ces sujets, a qualifié les deux textes d’« avancée significative », témoignant qu’« on était parvenu à des points de convergence, et même d’accord, que bien des gens n’auraient pas cru possibles avant que la Commission ne commence ses travaux ». Les Clarifications à propos de certains aspects des déclarations communes sur l’Eucharistie et le ministère (1993) (5) proposées par des membres de la Commission ont été accueillies par les autorités catholiques comme ayant « grandement renforcé l’accord dans ces domaines ». La première phase de l’ARCIC a également proposé deux études sur le sujet de L’Autorité dans Église (1976, 1981) (6), qui est le thème au cœur des divisions survenues au XVIe siècle.

Alors que les textes de la seconde phase de l’ARCIC (1983-2005) n’ont pas été produits avec l’intention d’obtenir une réponse formelle de la part de l’Église catholique ni de la Communion anglicane, et qu’ils n’ont pas abouti à une résolution finale ou à un consensus complet sur les points étudiés, chacun d’eux a bien laissé entendre qu’il y avait rapprochement croissant. Le salut et l’Église (1986) (7) reprend, de bien des façons, la Déclaration commune sur la Doctrine de la justification (8) signée en 1999 par l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale. À partir de la compréhension de l’Église comme koinonia qui avait été pour la première fois mise en avant dans l’introduction du Rapport de ARCIC I, ARCIC II a présenté le travail plus avancé de la Commission sur l’ecclésiologie, dans L’Église comme Communion (1991) (9).

La Vie en Christ (1994) (10) a pu reconnaître une vision commune et un héritage commun en vue d’un enseignement éthique, en dépit de différences dans les applications pastorales des principes moraux. Le Don de l’autorité (1999) (11) est revenu sur le thème de l’autorité, accomplissant d’importants progrès quant à la nécessité d’un ministère universel de primauté dans l’Église. Marie :Grâce et Espérance dans le Christ (2005) (12) a fait des pas importants et inattendus vers une compréhension commune de la Bienheureuse Vierge Marie.

Comme vous le savez, l’ordination de femmes au sacerdoce en certaines provinces anglicanes, depuis 1974, et à l’épiscopat, depuis 1989, a considérablement compliqué les relations entre la Communion anglicane et l’Église catholique. Je reviendrai sur cette question tout à l’heure. Gardant présent à l’esprit cet obstacle et cherchant à déterminer ce qui reste néanmoins possible dans le développement de nos relations, une importante initiative a été lancée peu après la dernière Conférence de Lambeth. En mai 2000, mon prédécesseur, le cardinal Edward Cassidy, et l’archevêque George Carey, invitèrent treize primats anglicans et leurs homologues catholiques présidents de Conférences épiscopales, ou leur représentants, à Mississauga au Canada, pour évaluer ce qui avait été réalisé dans le dialogue de l’ARCIC, et, à la lumière à la fois de ces réalisations et des difficultés marquant nos relations, pour proposer des recommandations en vue de progrès éventuels. J’ai participé dans ma vie à de nombreuses réunions œcuméniques, et je suis heureux de dire que celle-là fut l’une des meilleures auxquelles j’ai jamais pris part. L’esprit de prière et d’amitié, la réflexion sérieuse non seulement sur l’œuvre de l’ARCIC mais également sur les relations œcuméniques dans chacune des régions représentées, comme le désir profond de réconciliation, qui animèrent la réunion de Mississauga, ont ravivé l’espoir de progrès significatifs dans les relations entre la Communion anglicane et l’Église catholique. L’un des fruits de la rencontre de Mississauga fut l’établissement de la Commission internationale anglicane-catholique pour l’unité et la mission (IARCCUM), commission principalement composée d’évêques. Ici même à Lambeth, lors de la semaine passée, vous avez étudié le document de l’IARCCUM Grandir ensemble dans l’unité et la mission (13). Comme synthèse du travail de l’ARCIC, ce document présente l’évaluation de la Commission quant au point où nous en sommes arrivés dans notre dialogue, et repère les questions restant à étudier.

Au cours des quarante dernières années, nous ne nous sommes pas seulement engagés ensemble dans le dialogue théologique. Une étroite collaboration s’est développée entre anglicans et catholiques, non seulement au plan international mais aussi dans de nombreux contextes régionaux et locaux. Comme le Pape Benoît XVI et l’archevêque Rowan Williams l’ont noté dans leur Déclaration commune (14) de novembre 2006, « Au fur et à mesure que notre dialogue s’est développé, de nombreux catholiques et anglicans ont trouvé les uns chez les autres un amour du Christ qui nous invite à une coopération et à un service concrets. Cette union au service du Christ, vécue par un grand nombre de nos communautés dans le monde, donne un élan supplémentaire à notre relation ». Ce n’est véritablement pas une affaire secondaire, ce qui a été réalisé et ce qu’il nous a été donné de vivre au long des années de dialogue dans l’ARCIC et l’IARCCUM. Nous sommes remplis de gratitude pour le travail de ces commissions, et nous, catholiques, ne voulons pas que ces réalisations soient perdues. Ce que nous désirons, c’est continuer sur cette voie et mener à bien ce qui a été commencé il y a quarante ans.

Ce qui m’attriste d’autant plus que maintenant, en fidélité à ce que demande le Christ (et, puis-je ajouter, avec la franchise que permet l’amitié), il me faut regarder les problèmes qui, au sein de la Communion anglicane, se sont fait jour et se sont développés depuis la dernière Conférence de Lambeth, et, avec eux, les répercussions œcuméniques de ces tensions internes. Dans la deuxième partie de cette communication, je voudrais traiter d’une série de questions ecclésiologiques soulevées par la situation actuelle dans la Communion anglicane, et poser quelques difficiles questions clés. Mais avant d’y procéder, je veux répéter ce que j’ai dit quand, en novembre 2006, l’archevêque de Cantorbéry est venu à Rome rendre visite au Pape Benoît XVI : « Les questions et les problèmes de nos amis sont aussi nos questions et nos problèmes ». Aussi, si je soulève ces questions, ce n’est pas pour porter un jugement, mais en tant que partenaire œcuménique très encouragé par les événements récents, et qui désire vous exposer une réflexion honnête, faite dans une perspective catholique, sur comment et en quels points nous pouvons avancer dans le contexte actuel.

II. Considérations ecclésiologiques

Ce que je pense exposer dans cette deuxième partie n’est évidemment pas un traité professoral d’ecclésiologie. Ici encore, je désire seulement rappeler quelques idées communes mises en relief ces dernières décennies et qui pourraient, ou devraient, être utiles dans la recherche d’un progrès, recherche que j’espère être commune.

Les questions ecclésiologiques ont longtemps été un point majeur de controverse entre nos deux communautés. Déjà, quand j’étais jeune étudiant, je me suis penché sur tous les arguments ecclésiologiques avancés par John Henry Newman et qui l’ont fait devenir catholique. Son principal souci tournait autour de l’apostolicité et de la communion avec le Siège de Rome en tant que gardien de la tradition apostolique et de l’unité de l’Église. Je pense que ces questions sont toujours présentes et que nous n’en avons pas encore épuisé la discussion.

Alors que Newman avait à faire avec l’Église d’Angleterre de son temps, nous sommes aujourd’hui confrontés à de nouveaux problèmes au niveau de la Communion anglicane constituée de 44 Églises-membres, régionales et nationales, chacune autonome. Une indépendance sans une suffisante interdépendance est devenue une question majeure.Il y a deux ans, le document de l’IARCCUM Croître ensemble dans l’unité et la mission traitait ainsi de la situation dans la Communion anglicane et de ses implications œcuméniques : « Toutefois, depuis cette rencontre [de Mississauga], les Églises de la Communion anglicane sont entrées dans une nouvelle période de débats en raison de l’ordination épiscopale d’une personne vivant un rapport homosexuel ouvertement reconnu et de l’autorisation des rites de bénédiction publics pour les unions entre personnes du même sexe. Ces questions ont accru la réflexion sur la nature des relations entre les Églises de la Communion. […] En outre, les relations œcuméniques se sont compliquées lorsque des propositions faites au sein de l’Église d’Angleterre ont focalisé l’attention sur la question de l’ordination des femmes à l’épiscopat, qui est une partie établie du ministère dans certaines provinces anglicanes » (n. 6). Au-delà des événements relatifs à ce point, il nous faut maintenant prendre en compte le fait qu’un certain nombre d’évêques anglicans ont décidé de ne pas participer à la présente Conférence de Lambeth, et que des propositions internes à l’anglicanisme sont en train de défier les instances d’autorité actuellement établies dans la Communion anglicane.

Dans la prochaine partie je traiterai plus directement de quelques-uns de ces points, mais je voudrais centrer ce moment-ci de mon intervention de manière spécifique sur la dimension ecclésiologique de ces problèmes actuels, en faisant référence à ce que nous avons dit ensemble de la nature de l’Église et aux initiatives de la Communion anglicane pour traiter de ces problèmes internes.

En mars 2006, l’archevêque de Cantorbéry m’a invité à prendre la parole lors d’une réunion de la Conférence épiscopale de l’Église d’Angleterre, pour parler de la mission des évêques dans l’Église. Bien que l’arrière-plan de cette intervention fût la possibilité d’ordination de femmes à l’épiscopat, le point central, à savoir la nature du ministère épiscopal en tant que ministère d’unité, est bien en rapport avec tous les points de tension au sein de la Communion anglicane que nous avons relevés précédemment.

En résumé, mon raisonnement a été que l’unité, l’unanimité et la koinonia (communion) sont des concepts fondamentaux dans le Nouveau Testament et dans l’Église primitive. J’ai dit : « Dès l’origine, le ministère épiscopal était “koinonialement” ou collégialement enraciné dans la communion de tous les évêques ; il n’a jamais été perçu comme un ministère destiné à être compris ou pratiqué individuellement ». Puis j’ai abordé la théologie du ministère épiscopal d’un Père de l’Église, très important pour les anglicans comme pour les catholiques, Cyprien de Carthage, évêque martyr au IIIe siècle.

Sa formule « episcopatus unus et indivisus » est célèbre. Elle apparaît dans le contexte d’une adjuration pressante de Cyprien à ses confrères évêques : « Quam unitatem tenere firmiter et vindicare debemus maxime episcopi, qui in ecclesia præsidimus, ut episcopatum quoque ipsum unum atque indivisum probemus / Cette unité, nous devons la retenir et la revendiquer fermement, surtout nous, les évêques qui présidons dans l’Église, afin de prouver nous aussi que l’épiscopat est également un et indivisible ». Cette exhortation pressante est suivie d’une interprétation précise de la formule « episcopatus unus et indivisus ». « Episcopatus unus est cuius a singulis in solidum pars tenetur / L’épiscopat est unique, et chacun y a sa part au nom de tous » (De ecclesiae catholicae unitate I, 5).

Cyprien va cependant plus loin encore : non seulement il insiste sur l’unité du Peuple de Dieu avec son évêque attitré, mais il ajoute aussi que personne ne doit s’imaginer être en communion uniquement avec quelques évêques seulement, parce que « l’Église catholique n’est pas divisée ou découpée » mais « elle est unie et maintenue de la sorte par le ciment de la cohésion mutuelle des évêques » (Ep. 66, 8). Cette collégialité n’est évidemment pas limitée à la relation horizontale et synchronique entre des collègues contemporains dans l’épiscopat ; puisque l’Église est une et la même au cours des siècles, l’Église d’aujourd’hui doit aussi maintenir un consensus diachronique avec l’épiscopat des siècles qui nous ont précédés, et spécialement avec le témoignage des Apôtres. C’est là la signification la plus profonde de la succession apostolique dans le ministère épiscopal. De sorte que le ministère épiscopal est un ministère d’unité dans un double sens : les évêques sont signes et instruments d’unité au sein de chaque Église locale, comme ils le sont aussi entre les Églises locales à une époque donnée et celles de tous les temps au sein de l’Église universelle.

Cette compréhension du ministère épiscopal a été retenue dans les déclarations communes de l’ARCIC, tout spécialement dans L’Église comme communion et dans les déclarations de l’ARCIC sur l’autorité dans l’Église. L’Église comme communion (n. 45) le formule ainsi : « Pour la formation et le développement de cette communion, notre Seigneur Jésus-Christ a établi un ministère de supervision, dont la plénitude est confiée à l’épiscopat qui a la responsabilité de maintenir et d’exprimer l’unité des Églises (cf. n. 33 et 39 du Rapport final, Ministère et ordination). En les guidant, en les instruisant et en célébrant les sacrements, notamment l’Eucharistie, ce ministère garde les croyants unis dans la communion de l’Église locale et dans la communion plus large de toutes les Églises (cf. n. 39). Ce ministère de supervision a une dimension à la fois collégiale et primatiale. Il est enraciné dans la vie de la communauté et il est ouvert à la participation de celle-ci à la découverte de la volonté divine. Il s’exerce de manière à ce que l’unité et la communion soient exprimées, préservées et encouragées à tous les niveaux : local, régional et universel ».

La même Déclaration commune exprime la compréhension des deux Communions, anglicane et catholique, selon laquelle les évêques exercent leur ministère dans la succession apostolique, qui « a pour but d’assurer à chaque communauté que sa foi est vraiment la foi apostolique, reçue et transmise depuis les temps apostoliques » (L’Église comme communion, 33).

Le document de l’ARCIC Le don de l’autorité a développé plus explicitement cette idée de la façon suivante : « La communion à la Tradition apostolique a deux dimensions : diachronique et synchronique. Le processus de tradition comporte clairement la transmission de l’Évangile d’une génération à l’autre (diachronie). Si l’Église doit demeurer unie dans la vérité, il doit aussi comporter la communion des Églises de partout dans cet unique Évangile (synchronie). Les deux sont nécessaires à la catholicité de l’Église » (n. 26).

Le texte ajoute que chaque évêque, en communion avec tous les autres évêques, a la responsabilité de préserver et d’exprimer la koinonia générale de l’Église, et qu’il « participe à la sollicitude de toutes les Églises » (n. 39). L’évêque est donc « à la fois une voix pour l’Église locale et une voix par laquelle cette Église reçoit des autres Églises » (n. 38). Le don de l’autorité (n. 37) souligne aussi le rôle joué par le collège des évêques dans le maintien de l’unité de l’Église : « L’interdépendance mutuelle de toutes les Églises est constitutive de la réalité de l’Église telle que Dieu la veut. Aucune Église locale qui participe à la Tradition vivante ne peut se considérer comme autosuffisante. […] Le ministère de l’évêque est essentiel, parce qu’il sert la communion à l’intérieur des Églises locales et entre elles. Leur communion mutuelle s’exprime par l’incorporation de chaque évêque dans un collège d’évêques. Les évêques sont, à la fois personnellement et collégialement, au service de la communion ».

N’ayant pas le temps de m’étendre davantage sur l’ecclésiologie de l’ARCIC, il me suffira de dire que, dans notre dialogue, nous avons su présenter une conception forte du ministère épiscopal, dans le contexte d’une interprétation partagée de l’Église comme koinonia.

Il est significatif que le Rapport de Windsor de 2004 (15), lorsqu’il cherche à expliciter pour la Communion anglicane les bases ecclésiologiques lui permettant de traiter la crise actuelle, ait, lui aussi, adopté une ecclésiologie de koinonia. Cela m’a paru utile et encourageant, et c’est pourquoi, en réponse à une lettre de l’archevêque de Cantorbéry qui demandait une réaction œcuménique au Rapport de Windsor, j’ai indiqué que « malgré les importantes questions ecclésiologiques qui nous divisent encore et vont continuer à solliciter notre attention, cette façon de voir est fondamentalement en ligne avec l’ecclésiologie de communion du Concile Vatican II. Les conséquences que le Rapport tire de cette base ecclésiologique sont également constructives, notamment l’interprétation de l’autonomie provinciale en termes d’interdépendance, et donc “soumise aux limites créées par les engagements de communion” (Windsor, 79). À cela s’ajoute l’impulsion du Rapport pour renforcer l’autorité supra-provinciale de l’archevêque de Cantorbéry (n. 109-110) et la proposition d’un Pacte anglican qui “rendrait explicites et renforcerait la loyauté et les liens d’affection régissant les relations entre les Églises de la Communion” (n. 118) ».

La seule faiblesse que j’aie notée en matière d’ecclésiologie est que, « même si le Rapport insiste sur le fait que les provinces anglicanes ont une responsabilité les unes envers les autres et vis-à-vis du maintien de la communion, une communion enracinée dans les Écritures, très peu d’attention est accordée à l’importance d’être en communion avec la foi de l’Église à travers les âges ». Dans notre dialogue, nous avons affirmé ensemble que les décisions d’une Église locale ou régionale doivent non seulement favoriser la communion dans le contexte actuel, mais aussi être en accord avec l’Église du passé et notamment avec l’Église apostolique telle que nous la connaissons par les Écritures, les premiers Conciles et la tradition patristique. Cette dimension diachronique de l’apostolicité « a d’importantes ramifications œcuméniques, puisque nous partageons une tradition commune d’un millénaire et demi. Ce patrimoine commun, que le Pape Paul VI et l’archevêque Michael Ramsey ont appelé nos “anciennes traditions communes”, mérite qu’on y fasse référence et qu’on le conserve ».

À la lumière de cette analyse du ministère épiscopal tel qu’il a été présenté à l’ARCIC et de l’ecclésiologie de koinonia que l’on trouve dans le Rapport de Windsor, il a été particulièrement désolant de constater les tensions croissantes au sein de la Communion anglicane. En divers contextes, des évêques ne sont pas en communion avec d’autres évêques ; dans certains cas, des provinces anglicanes ne sont pas en pleine communion les unes avec les autres. Alors que le processus de Windsor se poursuit et que l’ecclésiologie proposée dans le Rapport de Windsor a reçu une approbation de principe de la part de la majorité des provinces anglicanes, on perçoit mal, de notre point de vue, en quoi cela s’est traduit par le renforcement interne recherché de la Communion anglicane et de ses outils d’unité. Il nous semble aussi que l’engagement anglican à être « guidés par les évêques et gouvernés par les synodes » n’a pas toujours permis de maintenir l’apostolicité de la foi, et que le gouvernement synodal, considéré à tort comme une sorte de processus parlementaire, a parfois bloqué le type de direction épiscopale envisagé par Cyprien et détaillé par l’ARCIC.

Je sais que vous êtes nombreux à être troublés, certains profondément troublés, par la menace de fragmentation au sein de la Communion anglicane. Nous nous sentons en pleine solidarité avec vous, parce que, nous aussi, nous sommes troublés et attristés quand nous nous demandons : dans une telle situation, quelle forme pourrait prendre la Communion anglicane de demain, et avec quel partenaire dialoguerons-nous ? Devons-nous, et comment pourrions-nous, engager le dialogue, de manière appropriée et sincère, avec ceux qui partagent les points de vue catholiques sur les questions qui font actuellement l’objet de controverses, et qui sont en désaccord avec certaines évolutions au sein de la Communion anglicane ou de provinces anglicanes particulières ? Dans cette situation, qu’attendez-vous de l’Église de Rome, qui, pour reprendre l’expression d’Ignace d’Antioche, doit dans la charité présider à l’Église ? Comment le travail de l’ARCIC sur l’épiscopat, l’unité de l’Église et la nécessité d’un exercice de la primauté au niveau universel pourrait-il servir la Communion anglicane en ce moment ?

Au lieu de répondre à ces questions, je voudrais vous rappeler ce que nous avons affirmé lors des Conversations informelles de 2003 et que nous avons réitéré plusieurs fois depuis lors : « Notre plus grand désir est que la Communion anglicane reste unie, enracinée dans cette foi historique que notre dialogue et nos relations depuis quarante ans nous ont conduits à constater comme étant largement partagée ». Nous suivons donc les débats de la présente Conférence de Lambeth avec beaucoup d’intérêt et une sincère préoccupation, et nous les accompagnons de nos prières ferventes.

III. Réflexions sur des problèmes particuliers à la Communion anglicane

Dans cette dernière partie, je voudrais aborder rapidement deux des sujets au cœur des tensions que vit la Communion anglicane en son sein et dans ses relations avec l’Église catholique : questions touchant à l’ordination de femmes et à la sexualité humaine. Je n’ai pas l’intention de traiter en détail ces points de controverse. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de le faire, car est bien connue la position de l’Église catholique qui la considère comme étant cohérente avec le Nouveau Testament et la tradition apostolique. Je veux simplement vous proposer quelques réflexions d’un point de vue catholique et en tenant compte de nos relations, passées, présentes et à venir.

L’enseignement de l’Église catholique concernant la sexualité humaine, l’homosexualité en particulier, est clair, tel qu’il est formulé dans le Catéchisme de l’Église catholique, n. 2357-2359. Nous sommes convaincus que cet enseignement est solidement ancré dans l’Ancien et le Nouveau Testament et donc qu’est en jeu la fidélité aux Écritures et à la tradition apostolique. Je ne peux que souligner ce que disait le document de l’IARCCUM Grandir ensemble dans l’unité et la mission : « Dans le débat sur la sexualité humaine à l’intérieur de la Communion anglicane ou entre celle-ci et l’Église catholique romaine, des questions herméneutiques bibliques et anthropologiques se posent et devront être abordées » (n. 86e). Ce n’est pas sans raison que, aujourd’hui, le principal thème de la Conférence de Lambeth est lié à l’herméneutique biblique.

Je voudrais attirer votre attention un instant sur la déclaration de l’ARCIC, La vie en Christ, où il a été indiqué (n. 87-88) que les anglicans pouvaient s’accorder avec les catholiques sur le fait que l’activité homosexuelle est un dérèglement, mais que nous pourrions être en désaccord quant aux conseils moraux et pastoraux à donner à qui vient nous consulter. Nous constatons avec satisfaction que les récentes déclarations des Primats sont en cohérence avec cet enseignement, qui a été clairement formulé dans la Résolution 1.10 de la Conférence de Lambeth de 1998. À la lumière des tensions qui se sont manifestées ces dernières années à ce sujet, une déclaration claire de la Communion anglicane renforcerait beaucoup notre capacité à porter un témoignage commun sur la sexualité humaine et sur le mariage, témoignage dont le monde d’aujourd’hui a le plus grand besoin.

En ce qui concerne l’ordination de femmes au sacerdoce et à l’épiscopat, l’Église catholique a fait connaître son enseignement avec clarté dès le début de notre dialogue, non seulement en interne mais également dans la correspondance entre les Papes Paul VI et Jean-Paul II et les archevêques de Cantorbéry successifs. Dans sa lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis du 22 mai 1994 (16), le Pape Jean-Paul II, se référant à la lettre du 30 novembre 1975 de Paul VI à l’archevêque Coggan, indiquait la position catholique de la manière suivante : « L’ordination sacerdotale […] a toujours été, dans l’Église catholique depuis l’origine, exclusivement réservée à des hommes », ajoutant que cette tradition a aussi été « fidèlement conservée par les Églises orientales ». Il concluait : « Je déclare […] que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église ». Une telle formulation montre clairement qu’il ne s’agit pas seulement d’une mesure disciplinaire mais d’une expression de notre fidélité à Jésus-Christ. L’Église catholique est liée par la volonté de Jésus-Christ et elle ne s’estime pas libre de créer une nouvelle tradition, étrangère à celle de l’Église de tous les temps.

Comme je l’ai dit lors de mon intervention à la Chambre des évêques de l’Église d’Angleterre en 2006 (17), cette décision d’ordonner des femmes comporte à nos yeux une rupture avec la position commune de toutes les Églises du premier millénaire, c’est-à-dire non seulement l’Église catholique mais aussi les orthodoxes orientaux et les Églises orthodoxes. Nous considérerions alors la Communion anglicane comme se rapprochant considérablement des Églises protestantes du XVIe siècle dans une position qu’elles n’ont d’ailleurs adoptée que dans la seconde moitié du XXe siècle.

Étant donné que, actuellement, 28 provinces anglicanes confèrent le sacerdoce à des femmes, tandis que 4 provinces seulement ont ordonné des femmes à l’épiscopat, mais que 13 autres ont adopté une législation autorisant l’ordination épiscopale de femmes, l’Église catholique doit désormais tenir compte d’une réalité qui est que l’ordination de femmes au sacerdoce et à l’épiscopat n’est pas seulement le fait de provinces isolées, mais constitue de plus en plus la position de la Communion. Celle-ci continuera à avoir des évêques, conformément aux décisions du Quadrilatère de Lambeth (1888) (18) ; mais, comme pour les évêques de certaines Églises protestantes, les Églises plus anciennes d’Orient et d’Occident y reconnaîtront beaucoup moins ce qu’elles estiment être la nature et le ministère de l’évêque au sens que leur donnait l’Église primitive et qui s’est conservé au fil du temps.

J’ai déjà traité du problème ecclésiologique qui se pose quand des évêques ne reconnaissent pas l’ordination épiscopale d’un autre évêque au sein d’une seule et même Église, mais je dois maintenant vous parler clairement de la nouvelle situation qui a été créée dans nos relations œcuméniques. Alors que notre dialogue a abouti à un accord significatif quant à l’interprétation du ministère, l’ordination de femmes à l’épiscopat empêche réellement et définitivement une possible reconnaissance des ordres sacrés anglicans par l’Église catholique.

Nous espérons que le dialogue théologique entre la Communion anglicane et l’Église catholique va se poursuivre, mais cette évolution affecte directement son objectif et change le niveau de ce que nous recherchons dans le dialogue. La Déclaration commune signée en 1966 par le Pape Paul VI et l’archevêque Michael Ramsey souhaitait un dialogue qui « conduise à cette unité dans la vérité pour laquelle le Christ a prié », et elle évoquait la « restauration d’une complète communion de foi et de vie sacramentelle » (19). Il semble maintenant que le but de la pleine communion visible se soit éloigné de notre dialogue, que celui-ci poursuivra des objectifs plus modestes et que, en conséquence, sa nature en sera modifiée. Un tel dialogue pourra encore produire de bons résultats, mais il ne sera pas soutenu par le dynamisme que donne la possibilité réaliste de l’unité que le Christ attend de nous, du partage commun à la table de l’unique Seigneur, que nous espérons si ardemment.

Conclusion

Qui a vu les grandes et superbes cathédrales et églises anglicanes du monde entier, visité les célèbres bâtiments anciens des universités d’Oxford et de Cambridge, assisté aux merveilleuses vêpres et entendu la beauté et l’éloquence des prières anglicanes, lu les savants ouvrages des historiens et théologiens anglicans, prêté attention aux contributions significatives et durables que les anglicans ont apportées au mouvement œcuménique, sait que la tradition anglicane est riche de nombreux trésors. De tels trésors font partie, pour reprendre une expression de Lumen gentium, de ces dons qui, « appartenant à l’Église du Christ, sont des forces qui poussent vers l’unité catholique » (n. 8).

Bien conscients de la grandeur et de la profondeur de l’enracinement culturel chrétien de votre tradition, nous en sommes d’autant plus préoccupés pour vous en raison des problèmes et des crises que vous traversez à l’heure actuelle. En même temps, cependant, cela nous donne confiance dans le fait que, Dieu aidant, vous trouverez la voie pour surmonter ces difficultés, et qu’ensemble nous serons fortifiés d’une vigueur nouvelle pour reprendre notre pèlerinage vers l’unité que Jésus-Christ veut pour nous et pour laquelle il a prié. Je voudrais redire ce que j’ai écrit dans ma lettre de décembre 2004 à l’archevêque de Cantorbéry : « Dans un esprit de partenariat œcuménique et amical, nous sommes prêts à vous soutenir de toutes les manières appropriées que vous pourriez désirer ».

À ce propos, je peux maintenant revenir à la question embarrassante de l’archevêque qui me demandait quelle sorte d’anglicanisme je voudrais. Je note que, dans les moments critiques de l’histoire de l’Église d’Angleterre, puis de la Communion anglicane, vous avez su retrouver la force de l’Église des Pères quand cette tradition était en danger. Les Caroline divines (20) en fournissent déjà une illustration, mais je pense surtout au Mouvement d’Oxford [XIXe siècle] (21). Peut-être, à notre époque, pourrait-on imaginer un nouveau Mouvement d’Oxford, une redécouverte des richesses qui se cachent chez vous. Ce serait une continuité redécouverte, un nouveau recours à la tradition apostolique dans une situation inédite. Cela ne signifierait pas que vous renonciez à la profonde attention que vous portez aux défis et aux combats humains, à votre soif de dignité humaine et de justice, à votre souci d’assurer un rôle actif à toute femme et tout homme dans l’Église. Au contraire, cela placerait ces préoccupations et les questions qui en découlent plus directement dans le cadre défini par l’Évangile et par l’ancienne tradition qui nous est commune et où s’enracine notre dialogue.

Espérons et prions tandis que vous vous efforcez de marcher en fidèles disciples de Jésus-Christ afin que le Père de toute miséricorde répande sur vous les abondantes richesses de sa grâce et qu’il vous guide par la présence constante du Saint Esprit.

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