Enquête En Bretagne, l’enseignement catholique joue collectif face à la baisse démographique

Enquête En Bretagne, l'enseignement catholique joue collectif face à la baisse démographique
Selon les estimations officielles, le second degré comptera environ 20 000 élèves en moins à la rentrée 2024. Près de 36 000 en 2026, voire 41 000 élèves en moins, en 2027.
Selon les estimations officielles, le second degré comptera environ 20 000 élèves en moins à la rentrée 2024. Près de 36 000 en 2026, voire 41 000 élèves en moins, en 2027. (©Enquêtes d’actu)

Enquête étudiante – En Bretagne, l’enseignement catholique est-il encore vécu comme une tradition religieuse ?

Ce travail d’enquête a été mené dans un cadre universitaire par sept étudiants en journalisme de l’IUT de Lannion. De la thématique générale de la religion, un large balayage de l’actualité et des problématiques liées a conduit à un paradoxe : la pratique de la religion catholique baisse alors que, dans le même temps, la proportion d’élèves scolarisés dans le réseau de l’enseignement catholique en Bretagne augmente.
A travers sept épisodes, Steven Couzigou, Chloé Crochu, Naomie Jourand, Valentin Longuet, Paul Louault, Théo Quintard et Matthieu Renard apporteront des éléments de réponse à la question suivante : En Bretagne, l’enseignement catholique est-il encore vécu comme une institution religieuse ?
Enquêtes d’actu publie ce travail dans le cadre d’un partenariat signé avec cette école de journalisme.

À la rentrée dernière, le nombre d’élèves au lycée La Croix Rouge de Brest (Finistère) n’a pas baissé. Il a même légèrement augmenté. Dans l’immédiat, il n’y a donc pas de quoi alerter Aurélien Régnier, directeur du groupe scolaire. Bien que conscient du phénomène qui touche d’ores et déjà “des établissements voisins, notamment au collège”. 

Ce phénomène ? C’est la conséquence de la baisse démographique enregistrée en France au cours de ces dernières années. Moins de naissances, c’est moins d’élèves à scolariser. Et donc, un équilibre budgétaire en péril pour les établissements privés de l’enseignement, dont le fonctionnement dépend du coût de scolarisation payé par les parents d’élèves. Et les estimations de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) pour les rentrées à venir ont de quoi susciter quelques inquiétudes : environ 20 000 élèves en moins dans le second degré, à la rentrée 2024. Près de 36 000 en 2026, voire 41 000 élèves en moins, en 2027.

Faudra-t-il fermer des classes ? Réduire un peu plus sa consommation énergétique ? Supprimer des spécialités et options trop coûteuses ? Dans les collèges et lycées privés bretons, l’heure est déjà à l’anticipation. Dans la région, le réseau d’enseignement catholique est une institution historique et emblématique du secteur privé. Ses 806 écoles, 168 collèges et 103 lycées, dont 27 établissements agricoles, en font un acteur majeur. À la rentrée 2022, il regroupait plus de 250 000 élèves, rien que pour le 1er et 2nd degré. C’est 42 % des effectifs scolaires de la région. 

Vers une augmentation du coût de scolarité ?

« Historiquement, l’enseignement catholique est fort en Bretagne, car il était relativement populaire », analyse Samuel Gicquel, enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’Université de Rennes 2. En résulte  un coût de scolarité moins important que dans d’autres régions. De quoi garantir au plus grand nombre l’accès à l’éducation, comme le prône le projet éducatif de l’enseignement catholique. Mais compte tenu de la baisse démographique annoncée, les tarifs d’inscription dans le privé pour les rentrées à venir pourraient augmenter, de manière à compenser la perte d’élèves. 

Aurélien Régnier, directeur du groupe scolaire Lacroix La Salle depuis septembre 2020. Professeur de mathématiques, il devient chef d’établissements privés sous tutelle diocésaine en région parisienne avant de rejoindre le réseau La Salle France.
Aurélien Régnier, directeur du groupe scolaire Lacroix La Salle depuis septembre 2020. Professeur de mathématiques, il devient chef d’établissements privés sous tutelle diocésaine en région parisienne avant de rejoindre le réseau La Salle France. (©Enquêtes d’actu)

Au lycée La Croix Rouge de Brest par exemple, Aurélien Régnier, envisage une augmentation dès septembre prochain. “Compte tenu de la période d’inflation actuelle”, justifie-t-il. Pour une inscription en seconde générale, une famille devait débourser cette année 783 euros. Alors, pour ne pas perdre en attractivité, le réseau La Salle, tutelle de l’établissement, envisage une tarification différenciée en fonction du quotient familial. “Le tout étant de bien jauger, pour ne pas nous retrouver en difficultés financières”, envisage Aurélien Régnier. Le réseau dit également mettre en place des caisses de solidarité, alimentées par l’association des parents d’élèves de chaque établissement. À La Croix Rouge, « rares sont les familles à en faire la demande », selon Béatrice Fily, présidente de l’antenne locale.

Filières spécifiques, options, jumelage, séjours à l’étranger, équipements sportifs, numériques… Le deuxième atout majeur de l’enseignement catholique s’articule autour de son offre scolaire. « L’autonomie conférée à chaque établissement pour initier des projets innovants est une force considérable qui nous permet de nous adapter au mieux aux évolutions actuelles », vante Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique.

Montrer que l’on est en phase avec son temps, que l’on offre les meilleures garanties pour une future insertion professionnelle. Au lycée Sainte-Anne de Brest, c’est l’ouverture internationale qui a été privilégiée. Le groupe scolaire s’appuie notamment sur sa section internationale accessible dès le collège. « Certaines familles viennent de loin et sont prêtes à faire des kilomètres pour que leur enfant puisse en bénéficier », appuie Guillaume Chevallier, chef de l’établissement placé sous la tutelle du diocèse. Ses élèves pourront également étudier dans un autre pays européen, grâce au programme Erasmus et même passer leur bac français en parallèle du bac américain. Autant de propositions en apparence gadget, mais qui font toute la différence entre les établissements d’un même secteur. 

Faire du réseau, dans le réseau

Cette offre alléchante, l’enseignement catholique ne manque pas d’en faire la promotion. Non pas à coup de campagnes publicitaires massives. Mais plutôt en tissant d’étroits liens avec les collèges du secteur. « On a des réunions régulières entre chefs d’établissements, confie Guillaume Chevallier. Nous montons conjointement des projets dans le but d’accueillir en immersion au sein de notre lycée, des élèves issus d’autres collèges. » 

En 2022, le groupe scolaire Sainte-Anne de Brest, dont la particularité est de ne pas avoir d’école de soubassement, a observé une légère hausse des ses effectifs. Les effets de la baisse démographique n’y seraient donc pas encore visibles, selon son directeur.
En 2022, le groupe scolaire Sainte-Anne de Brest, dont la particularité est de ne pas avoir d’école de soubassement, a observé une légère hausse des ses effectifs. Les effets de la baisse démographique n’y seraient donc pas encore visibles, selon son directeur. (©Enquêtes d’actu)

Présentation de l’établissement dans les collèges, journées immersives, portes-ouvertes et même salons de l’orientation… Les occasions ne manquent pas et à chaque fois la même logique de réseau s’illustre. « Ce n’est pas parce que l’établissement voisin est sous tutelle congréganiste qu’on ne travaille pas ensemble, bien au contraire, confie le directeur de Sainte-Anne. On travaille tous en collaboration au sein de l’enseignement catholique ».

Travailler ensemble plutôt que d’alimenter une concurrence entre établissements d’une même zone géographique. À Brest, où six lycées privés pour autant de lycées publics se partagent les élèves, l’enseignement catholique y a tout intérêt. Et il ne s’en cache pas. « Lors des inscriptions, la priorité est donnée aux élèves issus des établissements membres du réseau, développe Aurélien Régnier. Viennent ensuite les élèves issus de collèges partenaires, les fratries, puis les dossiers du public. »

Même logique lorsqu’un élève souhaite se réorienter vers une autre formation qui n’est pas dispensée au sein de l’établissement. « Je n’ai aucune difficulté à l’envoyer dans un autre établissement du réseau », assure le directeur de Sainte-Anne, dont le lycée ne propose que des filières générales. Dans ce cas de figure, l’une des issues envisageable peut s’avérer être la filière agricole.

Un modèle d’enseignement épargné ?

À 180 ans, le lycée Saint Ilan de Langueux (Côtes-d’Armor) en est justement une référence en Bretagne. Le premier du genre dans la région, à la fois privé et catholique. Aujourd’hui on en dénombre 27. Tous membres du même réseau : le Conseil national de l’enseignement agricole privé (Cneap). Une entité particulièrement influente, puisqu’en Bretagne, elle représente une part de marché d’un peu moins de 60 % de l’ensemble des formations agricoles sous statut scolaire. Tous ont un point commun : depuis 1984 et l’adoption de la loi Rocard, ils partagent le même statut sous tutelle du ministère de l’Agriculture.

Dans ce contexte de baisse démographique, le réseau du Cneap, par rapport aux lycées agricoles publics et aux Maisons familliales rurales, est en position de force. Une place hégémonique que nuance Yvonick Lorcy. « Si les classes sont pleines, le chef d’établissement peut orienter la famille vers d’autres établissements du réseau, mais chaque établissement est concurrent de son voisin », explique le directeur régional du Cneap. Il marque une petite pause et précise : « Enfin, on redirige les familles vers des établissements de l’enseignement agricole au sens large : des MFR ou des lycées de l’enseignement agricole public. »

Guillaume Chevalier, directeur du groupe scolaire Sainte-Anne de Brest depuis 2020. Directeur adjoint depuis 2015, le professeur de mathématiques a été nommé à la tête de l’établissement par l'évêque de Quimper et Leon.
Guillaume Chevalier, directeur du groupe scolaire Sainte-Anne de Brest depuis 2020. Directeur adjoint depuis 2015, le professeur de mathématiques a été nommé à la tête de l’établissement par l’évêque de Quimper et Leon. (©Enquêtes d’actu)

La question de la pérennité économique, parce que les infrastructures sont coûteuses et doivent être entretenues, est donc aussi au centre de l’attention dans cette filière de l’enseignement. « Il faut faire fonctionner nos établissements, même si on n’a pas vocation à faire des bénéfices, glisse Sébastien Mary, directeur adjoint du lycée La Touche de Ploërmel (Morbihan). Quand on a une famille qui est basée à côté d’un établissement du réseau, on leur dit qu’il y a telle formation à côté de chez eux. L’idée est de la jouer collectif. Ce sont bien les familles qui choisissent vers quels établissements ils veulent aller, mais j’ai un peu moins de scrupules pour les établissements qui ne font pas partie du réseau Cneap. Je ne vais pas forcément leur parler des lycées publics ou des MFR”, assume-t-il.

La particularité du réseau agricole

Contrairement à l’enseignement général, la filière agricole sera certainement moins concernée par la baisse du nombre d’élèves. En effet, depuis la loi Pénicaud de 2018 qui visait à favoriser l’apprentissage, elle est une voie particulièrement prisée par les élèves. « Quand je suis arrivée en 2017, il y avait 280 élèves et aujourd’hui, on est quasiment à 400 sur tout l’établissement », précise Anaïs Pouliquen, directrice adjointe de l’école du Nivot, à Lopérac. Autrement dit, pas besoin d’user d’un arsenal de communication pour attirer de nouvelles recrues, le marché s’autorégule. Le bouche à oreille et la bonne presse du privé suffisent à son rayonnement. 

Dans la plupart des cas, les lycées privés de l’enseignement agricole restent hermétiques à l’offre du public. C’est là que le Cneap, cette fédération particulièrement influente, prend tout son sens. « Lorsque certains établissements veulent lancer une formation, on va éviter de l’ouvrir quand il y en a une autre quelque part », souligne Anaïs Pouliquen. 

Dans quelques jours, elle partira accompagner ses élèves pour le lancement du projet Erasmus. Dont la demande de bourses d’une vingtaine d’établissements du réseau a été chapeauté par une seule et même personne au Cneap. « On se donne des coups de pouce entre établissements privés », résume-t-elle. Chaque établissement cultive sa propre spécificité. Le Cneap disposant ainsi d’une offre de formations particulièrement vaste pour garder les élèves dans son giron. Ce n’est pas un hasard si le Nivot est le seul établissement privé à proposer un bac pro forêt. Uniquement concurrencé par la MFR de Loudéac.

Cette dynamique d’offre et de réseau mise en évidence, tant au sein du Cneap que dans le réseau d’enseignement général et technologique des établissements catholiques, existait avant l’apparition des inquiétudes liées à la baisse démographique. Elle permet néanmoins d’envisager son exacerbation dans les années à venir pour pallier la réduction des effectifs. Mais suffira-t-elle ? Le secteur de l’enseignement privé sera-t-il contraint de se mettre en quête de la moindre économie ? Comme dans toute entreprise, l’une des variables d’ajustement étant la masse salariale, professeurs et personnels des collèges et lycées risqueraient alors de perdre leur emploi.

Les épisodes précédents :

« En Bretagne, l’enseignement catholique ne disparaîtra pas »

À Ploërmel en Bretagne, le nouveau lycée public inquiète encore

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