Propos antisémites lors d’un rassemblement de Civitas : «Pourquoi on ne peut lier religion et nationalité»

Propos antisémites lors d’un rassemblement de Civitas : «Pourquoi on ne peut lier religion et nationalité»

FIGAROVOX/TRIBUNE – Benoît Dumoulin, enseignant en histoire des idées politiques, répond aux déclarations antisémites tenues par l’essayiste Pierre Hillard lors de l’université d’été du mouvement Civitas. Ces propos sont historiquement faux et contraires à la tradition catholique, explique-t-il.

Benoît Dumoulin est directeur d’Ichtus et enseignant en histoire des idées politiques.


Le 7 août dernier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonçait avoir engagé une procédure de dissolution à l’encontre de l’association Civitas, à la suite des propos tenus lors de son université d’été par l’essayiste Pierre Hillard. Celui-ci prétendait que «la naturalisation de Juifs en 1791 ouvre la porte à l’immigration» parce qu’«avant 1789, un Juif, un musulman, un bouddhiste ne pouvaient pas devenir français. Pourquoi ? Parce que c’étaient des hérétiques», poursuit-il, avant d’estimer qu’il «faudrait peut-être retrouver la situation d’avant 1789».

Un tel propos est d’abord un non-sens d’un point de vue historique car il revient à considérer la population juive comme étrangère à la France jusqu’en 1791, date du décret accordant la pleine citoyenneté aux Juifs de France. Or, sous l’Ancien Régime, le concept de nationalité n’existe pas encore; on y distingue les régnicoles, qui relèvent de la Couronne royale, des aubains, qui dépendent d’une souveraineté étrangère. Ainsi, les Juifs -plus de 40.000 en 1789- sont pleinement sujets du roi de France même s’ils font l’objet jusqu’en 1787 d’une réglementation spécifique limitant leurs droits civils.

Lier catholicisme et nationalité au point de considérer comme seuls Français les baptisés catholiques renvoie à une situation qui n’a jamais existé dans l’ancienne France. Car la « loi de catholicité » concerne, sous l’Ancien-Régime, l’État et non la société.

Benoît Dumoulin

C’est sous l’impulsion de Malesherbes que le roi Louis XVI accorde, par l’édit de Versailles du 7 novembre 1787, le bénéfice de l’état civil à tous ses sujets non-catholiques, c’est-à-dire aux protestants et aux Juifs. Ces derniers, principalement implantés en Alsace et en Lorraine (communauté ashkénaze), à Bordeaux et à Bayonne (communauté séfarade) ainsi qu’en Avignon (au sein des États pontificaux) sont diversement intégrés à la population. À Bordeaux, les Séfarades sont bien insérés dans le tissu social et participent à l’élection des députés aux États généraux de 1789. En Alsace, les Juifs sont beaucoup plus nombreux et rencontrent parfois l’hostilité de la population locale. En Lorraine, le Parlement de Metz exclut explicitement les Juifs du bénéfice du nouvel édit de tolérance.

Toujours est-il qu’un processus d’émancipation est alors en marche en France comme en Autriche où l’empereur Joseph II accorde en 1781 la liberté de culte aux Juifs et aux protestants. S’agissant de ces derniers, il serait absurde de leur dénier la qualité de Français au prétexte qu’ils ne partagent pas la religion du monarque. Même après la révocation de l’édit de Nantes (1685) et avant l’édit de tolérance (1787), on trouve des maréchaux protestants servant le roi de France, comme Maurice de Saxe, vainqueur de la bataille de Fontenoy en 1745, pour qui Louis XV fera édifier par Pigalle un mausolée funéraire dans l’église protestante saint Thomas de Strasbourg.

Lier catholicisme et nationalité au point de considérer comme seuls Français les baptisés catholiques renvoie à une situation qui n’a jamais existé dans l’ancienne France. Car la «loi de catholicité» concerne, sous l’Ancien-Régime, l’État et non la société. Cette loi signifie que le roi de France doit être catholique pour présider aux destinées du pays, comme le précise l’édit d’Union pris par Henri III en 1588, qui explique l’abjuration d’Henri IV en 1593. Mais la monarchie française a pris conscience de la nécessité de dissocier État et société afin de réunir autour d’une même allégeance royale des sujets de confession différente. Certes, cette situation ne s’est pas édifiée sans heurts –que l’on songe aux guerres de religion au XVIe siècle ou aux dragonnades sous Louis XIV– mais elle fait de la France un État singulier dans le paysage européen de la fin du XVIIIe siècle, à mi-chemin entre États catholiques du sud et États protestants du nord.

Vouloir restreindre le bénéfice de la nationalité aux adeptes d’une religion, quelle qu’elle soit, serait s’engager vers la voie du totalitarisme qui ne met plus de distinction entre État et société et veut conformer la seconde aux vouloirs du premier.

Benoît Dumoulin

D’un point de vue philosophique ensuite, vouloir restreindre le bénéfice de la nationalité aux adeptes d’une religion, quelle qu’elle soit, serait s’engager vers la voie du totalitarisme qui ne met plus de distinction entre État et société et veut conformer la seconde aux vouloirs du premier. On sait suffisamment ce qu’une telle entreprise a pu produire dans l’histoire en termes d’épuration ethnique et religieuse – que l’on songe récemment à l’État islamique – pour ne pas revendiquer aujourd’hui une telle prétention. De plus, insinuer que les juifs de France ne feraient pas pleinement partie de la communauté nationale et suggérer qu’ils pourraient être un jour déchus de leur nationalité constitue une authentique infamie envers nos compatriotes de confession israélite.

Enfin, du point de vue catholique, une telle proposition est inacceptable car elle viole le droit à la liberté religieuse reconnu par la constitution Dignitatis Humanae du concile Vatican II. Celui-ci précise que «la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres», les justes limites renvoyant au bien commun de la société et à la cohésion de celle-ci.

Cela ne signifie en rien un relativisme qui placerait toutes les religions sur un même pied d’égalité d’un point de vue philosophique, comme cela a souvent été affirmé à tort. «Le droit […] à la liberté religieuse, proclamé par la Déclaration Dignitatis humanæ du Concile Vatican II, rappelle le cardinal Ratzinger en 2002, se fonde sur la dignité ontologique de la personne humaine, et en aucun cas sur une égalité qui n’existe pas entre les religions et entre les systèmes culturels humains». Car la reconnaissance d’une liberté civile par le pouvoir politique ne signifie nullement l’abandon, pour toute personne, de l’exigence morale et spirituelle de rechercher la vérité au plan religieux. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’une personne a le droit de pratiquer un culte que celui-ci est vrai sur le plan théologique.

Cette distinction est la marque du catholicisme qui articule de manière équilibrée recherche de la vérité et respect de la liberté des personnes. On ne peut, au niveau individuel comme au plan social, s’affranchir de l’une ou de l’autre sous peine de tomber dans le relativisme d’un côté ou dans le totalitarisme de l’autre.

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