Les catholiques du Nigeria face au succès des Églises pentecôtistes

Les catholiques du Nigeria face au succès des Églises pentecôtistes

« Tu ne fais pas de photos. Si on nous arrête, on dira que tu es un ami. » Au volant, Godfrey Ejimofor donne ses consignes pour éviter d’être remarqués. Face à lui, à Ota, dans la banlieue de Lagos, des agents de sécurité filtrent les véhicules et contrôlent les piétons qui passent sous un portique qui aurait davantage trouvé sa place à l’entrée d’un parc d’attractions. Sur un mur, le message s’étend en grandes lettres : « Bienvenue à Canaanland », le quartier général de la Living Faith Worldwide (LFW), l’une des plus importantes Églises pentecôtistes du Nigeria.

Le coffre est inspecté, puis la voiture pénètre enfin dans la cité-Église. Sur deux demandes d’accréditation, une seule a reçu une réponse lapidaire : « Contactez un de nos pasteurs en France pour qu’il vous écrive une recommandation », malheureusement accordée uniquement à ceux qui fréquentent leur communauté. Par chance, j’ai pu prendre contact la veille avec Godfrey Ejimofor qui a accepté de m’y conduire au petit matin. Âgé de 39 ans et père de deux enfants, cet ancien catholique est, depuis une dizaine d’années, un fidèle de la LFW. Il travaillait encore il y a peu auprès de ses dirigeants.

« République pentecôtiste »

Comme lui, les Nigérians sont nombreux à ressentir l’attrait de ces Églises évangéliques d’un genre nouveau. Elles s’appellent « Église chrétienne des rachetés de Dieu », « Ambassade du Christ », ou encore « Église-Synagogue de toutes les Nations » … cette mouvance pentecôtiste charismatique, tendance conservatrice, se développe au Nigeria à grande vitesse depuis les années 1990, à tel point que le pays est décrit comme une « République pentecôtiste » (1). Les catholiques, qui représentent environ un quart des chrétiens du Nigeria, sont désormais rattrapés en nombre. À la pointe de cette évolution, Lagos, ville la plus peuplée d’Afrique avec ses près de 30 millions d’habitants, est devenue une pépinière d’Églises.

Outre le charisme des pasteurs, ces Églises ne lésinent pas sur les dépenses pour apparaître toujours plus accueillantes, toujours plus attrayantes.

Canaanland, elle, est le produit de l’imagination de David Oyedepo, 69 ans, le fondateur de la LFW. Petit bout de terrain en 1999, cette enclave quasi-autonome s’étend aujourd’hui sur 20 km2, possède sa propre police et son administration. Vertigineux. À sa tête, celui qui s’est affublé du titre d’évêque est l’un des pasteurs les plus riches du monde avec une fortune estimée à plus de 150 millions de dollars. Son influence lui permet de gérer ses quelque 21 000 églises implantées dans le pays à l’abri des regards indiscrets. Sur les portraits géants affichés dans la ville, son costume blanc immaculé et ses yeux plissés lui donnent un air de mentor habité.

Des Églises toujours plus attrayantes

Outre le charisme des pasteurs, ces Églises ne lésinent pas sur les dépenses pour apparaître toujours plus accueillantes, toujours plus attrayantes. Autour, la pelouse soigneusement entretenue contraste avec la poussière, la circulation et les vendeurs de poulets du dehors. La cité abrite logements neufs, instituts de théologie, restaurants, banques, écoles, maison d’édition, sa propre centrale électrique et même une université parmi les plus prisées du pays. Les étudiants sont soumis à des règles de sorties strictes pour favoriser leur réussite. Tous les services – d’une qualité bien supérieure à ceux de l’État nigérian – sont mis à la disposition des habitants. La voiture s’arrête à hauteur du « Tabernacle de la Foi », la megachurch de la ville. Construit en trois branches, le bâtiment aux dimensions démesurées peut accueillir 65 000 fidèles pour chaque culte. En arrière-plan, le chantier de la future église baptisée « L’Arche » s’élève très haut dans le ciel. Une fois achevée, elle pourra accueillir 109 000 croyants. Une seule église, située à Port-Harcourt, dans le sud-est du Nigeria, la surpassera en taille dans le monde.

« Le dimanche, il faut partir avec plusieurs heures d’avance. Il y a des embouteillages à cause des bus qui acheminent des dizaines de milliers de chrétiens », sourit Godfrey Ejimofor. Ce lundi, l’église est fermée au public. Alors mon compagnon de voyage lance sur son téléphone une vidéo tournée pendant le culte de Pâques. On y voit des fidèles survoltés chanter à pleins poumons, agiter les bras en l’air, tomber à genoux et parler.

Pour convaincre des fidèles toujours plus nombreux, l’expérience du culte est adossée à une pratique religieuse libérée des doctrines du passé. « Notre Berger montre l’exemple et suit uniquement la parole de Dieu », s’illumine Godfrey Ejimofor, insistant sur l’opposition entre cette nouvelle génération d’Églises et celles que les Nigérians qualifient d’« orthodoxes » (catholique, anglicane, protestantes plus traditionnelles). Lui a claqué la porte de sa paroisse en 2013 en raison d’une profonde divergence sur les questions familiales et le rôle de la femme, trop archaïque selon lui chez les catholiques. « Les prêtres sont déconnectés des préoccupations des gens, de leur vie de tous les jours. Leur Église est figée dans le passé, avec son catéchisme dépassé, et n’encourage pas les gens à travailler dur pour s’en sortir », critique-t-il.

Une religiosité affichée sans complexe

Plusieurs agents fixent la voiture du regard. Godfrey Ejimofor décide qu’il est temps de quitter les lieux, cela permettra d’éviter le chaos de la circulation des heures de pointe à Lagos. Sur le chemin du retour, nous croisons à un carrefour une dizaine d’hommes et de femmes en gilets jaunes qui alpaguent les automobilistes. Une grève ? « Non, des évangélisateurs de rue, rétorque-t-il sur le ton de l’évidence. Les prêtres catholiques ne sortent plus des paroisses, ne vont plus au contact, c’est pour ça que les gens les quittent pour nos églises. »

Les catholiques du Nigeria face au succès des Églises pentecôtistes

Dans la sphère publique nigériane, la religiosité s’affiche en tous lieux sans complexe : à Jos, à Abuja comme à Lagos, en ville comme dans les villages de brousse, impossible de faire plus de 100 mètres sans apercevoir une église. Dans les rues, des panneaux publicitaires géants vantent des cultes à grand renfort de slogans au ton superstitieux : ici on annonce une « croisade prophétique », là « deux jours et deux nuits de miracles et de guérisons ». Sur Internet aussi, les « prophéties » des pasteurs cartonnent. « Faites attention, là-bas, la frontière entre secte et religion n’est pas aussi nette qu’en France », avertissait peu avant mon départ un spécialiste du Nigeria.

« Devenir riche est essentiel pour le développement de l’Église »

Derrière une vitrine clinquante et attractive, les Églises pentecôtistes ont développé un discours incitant au succès financier qui tranche avec la crise économique et sociale que traverse le Nigeria. Un prédicateur de la LFW, proche de Godfrey Ejimofor, nous accueille chez lui, pieds nus, une bible défraîchie à la main. Derrière un rideau, une voix s’élève à la limite du cri. « Ma femme fait ses prières », s’excuse-t-il. Sans la voir, on l’imagine gesticuler et frapper l’air de ses bras, comme c’est l’usage. Sans autorisation de sa hiérarchie pour parler aux médias, le pasteur souhaite rester anonyme. Je veux connaître la recette du succès de son Église. « Nous fondons tout sur la parole de Dieu, résume-t-il, très sûr de lui. Tout ce qui n’est pas dans la Bible, nous disons aux gens de le jeter aux ordures. Les gens voient la vérité, nous conquérons des territoires. »

Dans bon nombre d’églises catholiques nigérianes, des prêtres circulent dans le chœur micro en main pendant les homélies, interpellent avec passion les fidèles.

D’une fidélité sans faille à ses supérieurs, le pasteur justifie les richesses accumulées par la LFW, quand bien même il habite un quartier particulièrement pauvre. « Devenir riche est essentiel pour le développement de l’Église et donc du Royaume de Dieu car l’argent ne doit pas être jalousement gardé, répond-il. C’est pour réaliser cette prophétie que la parole de Dieu est prêchée. » Comme tant d’autres, la LFW verse dans la théologie de la prospérité, faisant miroiter le succès financier aux fidèles pour souvent mieux enrichir ses dirigeants.

Face à cette concurrence, les catholiques avancent en ordre dispersé, entre volonté de nouer des liens et distance prudente. « Pendant trente ans, les Nigérians ont été abreuvés par le discours de prospérité, analyse le théologien dominicain Anthony Akinwale. Cette théologie a fermenté alors que le pays s’appauvrissait. Leur stratégie a fonctionné. » Ancien professeur à l’université pontificale de l’Angelicum à Rome, directeur d’université à Epe, à 80 km à l’est de Lagos, le prêtre est l’une des voix les plus critiques de ce qu’il appelle non sans ironie « l’Alléluia 24 heures/24 ». « Beaucoup de prêtres séduits par le dynamisme des pasteurs les imitent », s’inquiète-t-il, en déambulant sur le campus de l’université, en bordure de la jungle. Dans bon nombre d’églises catholiques nigérianes, des prêtres circulent dans le chœur micro en main pendant les homélies, interpellent avec passion les fidèles, prient haut et fort dans l’espoir de susciter des guérisons.

Les Églises pentecôtistes, un phénomène passager ?

Au Nigeria, comme au Ghana, au Cameroun ou encore au Kenya, les catholiques voient leur proportion lentement s’amenuiser parmi les populations. Cette Afrique qui se rêve en première force du futur de l’Église catholique pourrait-elle voir ses ambitions menacées par d’autres chrétiens ? Pour le père Akinwale comme pour la majorité des prêtres et laïcs interrogés, le catholicisme est trop ancien pour craindre la disparition. « Ces Églises sont un phénomène passager qu’il faut gérer. Il ne faut pas essayer de leur ressembler, mais cultiver notre tradition, nos racines », estime-t-il, sans apporter d’autres solutions plus concrètes. « Beaucoup ne survivront pas à leurs fondateurs », prédit-il encore.

Depuis peu, au sein de la jeunesse catholique, un sentiment de méfiance se développe à l’égard de ces pasteurs super-stars. Chinwendu Okocua se tient à l’écart d’une réunion du comité des femmes de son diocèse. À 29 ans, elle a vu plusieurs membres de sa famille rejoindre les Églises pentecôtistes. « Ils ne sont intéressés que par l’argent. On entend aussi des gens qui alertent sur leurs déviances et leurs pratiques non chrétiennes », rapporte-t-elle.

La jeune femme cite l’exemple du célèbre pasteur aujourd’hui décédé TB Joshua, fondateur de l’Église-Synagogue de toutes les Nations, qui a fait l’objet, plus tôt dans l’année, d’accusations de violences sexuelles et de torture. Malgré des enquêtes factuelles, les Nigérians sont toutefois nombreux à préférer voir « la main du diable » dans ces révélations.

« Un mélange d’Ancien Testament et de culture locale »

Au-delà des grandes figures, les initiatives œcuméniques sur le terrain sont rares. Chacun vit sa foi derrière ses murs. « Nous avons essayé de faire des choses, mais les Églises agissent chacune de leur côté », se désole un responsable catholique du dialogue interreligieux. Néanmoins, quelques rares personnalités tentent de faire bouger les lignes. Dans les beaux quartiers de Banana Island, où on franchit les check-points avec des mots de passe, la pasteure Phyllis Peace, fondatrice de l’Église du ministère de la guérison des croyants en Christ, veut croire à un possible rapprochement. « Nous avons déjà réussi à organiser localement des prières communes », se félicite-t-elle.

« Les pentecôtistes prospèrent car c’est un mélange d’Ancien Testament et de culture locale. »

Enfoncée dans un canapé du lounge de son quartier où vivent hommes politiques et stars de cinéma, la sexagénaire déclare miser sur ses amitiés avec quelques prêtres plutôt que sur l’institution catholique car elle n’a pas digéré que Rome autorise les bénédictions pour les couples de même sexe en décembre 2023. La pasteure trouve toutefois dans « l’Église-mère » une source d’inspiration. « Leur organisation est remarquable, abonde Phyllis Peace, elle-même transfuge depuis quinze ans. Je prie pour qu’ils nous rejoignent et que nous fassions ensemble l’expérience de l’Esprit Saint. »

« Les pentecôtistes prospèrent car c’est un mélange d’Ancien Testament et de culture locale », avait suggéré le père Anthony Akinwale. De fait, l’Église catholique du Nigeria fait face à un défi de taille : des chrétiens lui reprochent ses racines occidentales, alors que les Églises comme la LFW sont fondées au Nigeria, par des Nigérians. Surtout, elles n’hésitent pas à faire preuve de prosélytisme dans les régions du Nord auprès des musulmans, où la cohabitation entre les différentes religions demeure, comme dans la plupart des pays du Sahel et du nord de l’Afrique, souvent difficile.

(1) Ebenezer Obadare dans Pentecostal Republic. Religion and the Struggle for State Power in Nigeria, 2018.

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