Western ample, plastiquement somptueux et au casting
remarquable, réalisé par un artisan au sommet de son
art.
USA, vers 1890. Trois bandits massacrent les parents de
Max Sand, un jeune Indien métis, afin de voler leur mine
d’or. Max jure de les tuer : sa quête de vengeance l’entraîne
à travers plusieurs États d’une Amérique brutale et sauvage.
Quelques rencontres salvatrices (un sympathique marchand de
revolvers, une douce Indienne Kiowa, une belle femme Cajun
dans un bagne marécageux de la Nouvelle-Orléans, un prêtre
catholique dont les parents furent massacrés mais qui a
renoncé à la vengeance) modifient progressivement sa vision
du monde. Une ultime épreuve l’attend : la rencontre avec le
troisième tueur, le plus intelligent et le plus redoutable du
gang, auquel il se présente (par prudence car sa réputation
est à présent établie) sous le pseudonyme de Nevada
Smith.
Nevada Smith(GB 1965) de Henry Hathaway est
peut-être, avec La Fureur des hommes (From Hell to
Texas, USA 1958), son western le plus virulent et le plus
adulte. En apparence, il s’agit d’un sujet classique filmé
comme un grand spectacle : sa durée est bien supérieure à
celle d’un western de série A ; il est magnifié par des
paysages plus variés et impressionnants les uns que les
autres. En réalité, le film s’avère particulièrement brutal
et la peinture très âpre : sa virulence est même supérieure à
celle des westerns italiens de la même époque, avec lesquels
il rivalise aisément en violence graphique. Le thème est
celui de l’oscillation (ici une lutte à mort) entre
civilisation et barbarie sur le plan social comme sur le plan
individuel : l’itinéraire moral du héros est angoissant car
soigneusement dosé afin qu’il demeure erratique, ambivalent,
le plus longtemps possible. Les trois personnages féminins
qui croisent sa route sont trois prostituées dont l’une (la
jolie brune des marécages, celle incarnée par Suzanne
Pleshette) est en outre presque une esclave : on n’oublie pas
la visite nocturne, silencieuse, qu’elle et ses compagnes
rendent aux forçats : c’est une des séquences les plus
stupéfiantes du western américain. Il y a une dimension
littéraire de roman d’apprentissage (à la manière de ceux du
dix-huitième siècle) dans les rencontres successives qui
modifient la vision du monde de Max : chacun l’éduque d’une
certaine manière et lui fait comprendre la vanité de son
obsession, le danger de devenir aussi cruel que les bourreaux
qu’il traque. La grande intelligence du scénario est de
maintenir jusqu’au dernier moment la tension relative au
renoncement éthique. Steve McQueen n’a pratiquement pas
besoin de jouer car son physique symbolise parfaitement cette
ambivalence : un regard bleu adulte, implacable, dur et froid
supporté par un visage et un corps jeunes, immatures.
Hathaway le dirige d’une manière qui met constamment en
opposition ces deux aspects. Sa mise en scène maintient
ainsi, charnellement autant que dialectiquement, une tension
interne au personnage, surajoutée à la tension externe,
objective de l’intrigue. C’est dire que le casting était
avisé : ceux qui critiquaient le film dans les journaux à sa
sortie en 1966 et qui le critiquent encore aujourd’hui (les
jeunes cinéphiles woke américains) à cause du choix de
McQueen – sous prétexte que son physique n’est pas celui d’un
Indien natif – apportent simplement la preuve qu’ils n’ont
pas compris ni la mise en scène d’Hathaway ni le sens du
scénario. Hathaway n’a pas de message et n’est pas un auteur
: en artisan émérite, il pousse simplement, en grande partie
grâce au casting, la mise en scène de son sujet au bout de la
logique de son scénario. Lorsqu’il était venu à la
Cinémathèque française du Palais de Chaillot, les
organisateurs n’avaient pas laissé le public lui poser de
questions. On l’avait regretté mais, au fond, à tort car
Hathaway fait précisément partie de ces cinéastes dont les
meilleurs films (mais seulement ceux-là) parlent
d’eux-mêmes.
1 Blu-ray BD-50 région B + 1 DVD9 zone 2 PAL édités par
Sidonis le 12 septembre 2024. Durée film 130 minutes environ.
Images couleurs Full HD 1080p AVC au format original 2.35
respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono
VF d’époque + VOSTF. Suppléments : présentations de
Jean-François Giré et Olivier Père. Il existe une édition
Blu-ray qui serait dotée d’un livret mais la rédaction ne l’a
pas reçue : on se contente donc ici de chroniquer ce DVD.
Présentation par Jean-François Giré (durée
22 minutes environ) : elle restitue le point de vue du
spectateur de cinéma qui avait découvert le film au cinéma
durant la saison cinématographique 1965-1966 et qui y revient
comme cinéphile amoureux du genre et critique en 2024. De
bonnes remarques mais une assez grande partie de cette
présentation paraphrase le scénario, autrement raconte le
film. Quelques extraits de ce dernier en illustration
principale.
Présentation par Olivier Père (durée 27
minutes environ) : informations historiques solides et
variées sur le producteur Joseph E. Levine, l’acteur Steve
McQueen, le réalisateur Henry Hathaway, le directeur de la
photographie Lucien Ballard, le roman dont est tiré le
scénario et son rapport avec le roman d’Harold Robbins dont
était tiré Les Ambitieux (The Carpetbaggers,
USA 1964) d’Edward Dmytryk dont le film de Hathaway
constituerait une sorte de « préquelle » partielle,
relativement à un des personnages. Belles affiches bien
reproduites en illustration.
Dans les deux cas, ne pas visionner ces « présentations »
avant le film de référence car elles en révèlent de larges
extraits et même, dans le cas de celle de Père, la fin.
Beau transfert numérique Full HD 1080p AVC au format
respecté 2.35 compatible 16/9 d’une copie argentique en
couleurs et bien restaurée, dotée d’une belle photo de Lucien
Ballard.
DTS-HD Master Audio 2.0 mono en VOSTF et VF d’époque :
offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone.
Aucun défaut technique à signaler : report soigné et bon
équilibrage musique-effets sonores-dialogues, sur les deux
pistes sons ici proposées même si la VF est moins bien
équilibrée et moins bien conservée. Belle partition musicale
signée Alfred Newman. Excellente VF d’époque sur le plan
dramaturgique. STF corrects et bien lisibles sur la VO.
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