Depuis la mi-juillet, une demi-douzaine d’édifices religieux a été incendiée ou dégradée sur le Caillou. La plupart des auteurs de ces actes restent non identifiés. Mais ces exactions interrogent dans un archipel où le poids de la religion reste important.
De l’église Notre-Dame-de-l’Assomption sur l’île des Pins, partiellement incendiée, à l’église de Saint-Louis partie en fumée, une demi-douzaine d’édifices religieux a été ciblée par des incendies ou des dégradations volontaires en Nouvelle-Calédonie. Quelles sont les réelles motivations derrière les attaques à répétition sur les édifices catholiques ? Aucune certitude à ce stade.
Dans chaque cas, des enquêtes ont été ouvertes et confiées à la gendarmerie, sans que les auteurs de ces actes ne soient traduits en justice. Mais le sujet interpelle jusque dans l’Hexagone, comme le révèlent ces articles du Monde ou encore de la Croix.
À l’île des Pins, les auteurs ont été identifiés par les autorités coutumières. Une rencontre aura lieu avec leur clan pour qu’ils se rendent à la gendarmerie, selon Jérôme Vakume, le président du conseil de district coutumier de l’île. « Le grand chef a été très touché et condamne fermement, relaie-t-il. La religion est un pilier de la vie ici, avec la coutume et la politique ».
Les Eglises chrétiennes, protestantes et catholiques, ont une présence prépondérante en Nouvelle-Calédonie depuis l’arrivée des premiers missionnaires à partir de 1843, dix ans avant la prise de possession de l’archipel par la France. Elles revendiquent près de 150 000 fidèles sur une population globale de 270 000 habitants. Selon le vice-rectorat de la Nouvelle-Calédonie, les enseignements confessionnels scolarisent un élève sur quatre.
Ces incendies « atteignent la Nouvelle-Calédonie dans ses symboles fondamentaux », explique Yves Dupas, le procureur de la République de Nouméa, qui ajoute à cette série l’acte de vandalisme ayant visé le mausolée du grand chef kanak Ataï le 22 juillet. Pour autant, ajoute-t-il, « il est trop tôt pour affirmer qu’il existe un mobile unique”.
Dans le bastion indépendantiste de Saint-Louis, où la première église a brûlé, un suspect interpellé portait une soutane volée et manifestait son opposition à l’organisation de sa tribu, précise le procureur. Mais pour les autres cas, le flou demeure. Pour Marie-Elizabeth Nussbaumer, anthropologue calédonienne, ces actes violents réactivent un vieux débat.
« Les missionnaires sont arrivés avec l’armée (…). Les religions ont contribué à la déstructuration du monde kanak », analyse-t-elle. Tout en précisant qu’avec le temps et l’évangélisation de l’archipel, « même les discours indépendantistes » s’inspirent d’images religieuses.
Il y a des amalgames sur la question de la colonisation.
Monseigneur Calvet
L’archevêque catholique de Nouméa, Mgr Michel-Marie Calvet, voit les choses autrement. « On a vu une volonté de détruire tout ce qui représente quelque chose d’organisé. Il y a des amalgames sur la question de la colonisation », dénonce-t-il.
Invité au journal télévisé de NC la 1ère en août, Monseigneur Calvet avait indiqué : « ceux qui connaissent l’histoire savent que le premier évêque Monseigneur Douard est mort plusieurs mois avant la prise de possession de 1853. Autrement dit, même historiquement, ça ne tient pas. Mais on a déjà vu ça ailleurs. On reconstitue une histoire selon l’idéologie que l’on veut porter ou que l’on croit porter. »
« On a contribué à changer le paysage kanak, à le déformer (…). Il faut sortir du déni et reconnaître certaines choses », estime au contraire le pasteur Var Kaemo, président de l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie (EPKNC, réformée).
Si le responsable de la principale Eglise protestante historique de l’archipel n’a pas de réponse au phénomène, il dit avoir entendu des jeunes, sur des barrages, exprimer leur volonté de « revenir à leur religion d’origine », celle préexistant à l’arrivée des missionnaires chrétiens. Et il pointe l’essor de nouvelles dénominations, notamment évangéliques, qui affaiblissent les confessions chrétiennes historiques.
Cette vision est partagée par Zénon Wejieme, doctorant en anthropologie travaillant sur le développement de ces nouveaux courants religieux. Il observe un décalage entre les Églises historiques et une jeunesse avec laquelle elles « ont bien du mal à être en phase ».
En Nouvelle-Calédonie, la destruction des églises n’a pas débuté en juillet dernier. Retour dans le passé, deux ans après l’arrivée des premiers missionnaires sur le territoire en 1847 à Balade, dans la commune de Pouébo.
Les opposants à la religion catholique tuent Blaise Marmoiton, frère de la société de Marie. Ils vandalisent aussi l’église. Sur un dessin qui a été conservé, on peut découvrir un assaillant, qui a revêtu une soutane. Cela rappelle les exactions commises à la tribu de Saint-Louis, en juillet.
Pour l’historien Dominique Barbe, « il y a aussi ce qui se passe actuellement en Azerbaïdjan, puisque visiblement certains indépendantistes regardent ce qui se passe là-bas, la façon de rayer de la carte tous ces lieux mémoriels arméniens, et en particulier les églises ». « Les jeunes reçoivent des images sans toujours les décrypter. Et finalement, comme ils voient que ça se fait ailleurs, pourquoi pas chez nous ? »
Début septembre, l’église Saint-Denis de Balade, à Pouébo, a été prise pour cible également. Il s’agit de la première église construite en Nouvelle. Patrimoine historique, son autel en bois, sculpté par les bagnards de Bourail, a été totalement réduit en cendres. La porte de la sacristie a été partiellement incendiée et les murs de l’édifice tagués.
Dans un communiqué, le relais de la CCAT de Pouébo « condamne tous actes isolés et plus encore les exactions commises sur l’église de Balade ». Avant de préciser que la « nation de Kanaky est et restera laï[que] ». « Chacun est libre de croire en ce qu’il veut ».
Face à la multiplication de ces attaques ces dernières semaines, des fidèles surveillent désormais de nuit comme de jour les églises, de leur propre initiative, dans plusieurs paroisses du pays.
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