Depuis trois mois, l’Église catholique traverse une période difficile autour de la question de sa relation avec les couples homosexuels. La déclaration « Fiducia supplicans », du 18 décembre 2023, qui autorise les bénédictions non liturgiques des couples de même sexe, a suscité beaucoup de réactions très diverses, notamment en Afrique où s’est levé un véritable vent de révolte contre cette proposition de pape François.
En 2016, dans son exhortation apostolique « Amoris laetitia« , le souverain pontife proposait une méthode pour aborder les questions d’éthique familiale. Une méthode qui peut se résumer en deux mots : rencontrer, écouter. Parce qu’il faut partir de l’expérience des personnes concernées, OÙ VA LA VIE vous propose d’entendre les témoignages de Claire et Olivier, co-fondateurs de Reconnaissance, association de parents chrétiens d’enfants homosexuels.
Des témoignages de parents catholiques d’enfants homosexuels
OÙ VA LA VIE – la bioéthique en podcast, avec les Facultés Loyola, a décidé de donner la parole à des parents catholiques d’enfants homosexuels. Chrétiens engagés dans l’Église catholique, ils parlent de l’intérieur de l’Église. « On a toujours pu penser quand c’étaient des questions difficiles, que c’étaient des gens de l’extérieur, souligne le jésuite Bruno Saintôt, directeur du département d’éthique biomédicale aux Facultés Loyola, qu’ils promouvaient des choses pour combattre l’Église, on les accuse de vouloir détruire les grands principes de la morale chrétienne, de détruire les familles. Ce n’est pas ça dont il s’agit. »
Et parce qu’ils parlent de l’intérieur de l’Église, ces fidèles lui donnent la possibilité de changer. À travers leurs témoignages, on perçoit en effet ce qui pourrait évoluer au sein de l’Église catholique. Par exemple, la différence de raisonnement entre l’éthique sociale et l’éthique sexuelle : deux domaines « qui semblent étanches l’un à l’autre », note Bruno Saintôt. « Une des tâches aujourd’hui serait de faire en sorte que cette éthique sociale et l’éthique de la sexualité communiquent, qu’elles soient pensées ensemble. »
Olivier Boidin, un déclic après la Manif pour tous
Père de cinq enfants dont le plus jeune fils est aujourd’hui marié avec un homme, Olivier Boidin est un chrétien engagé. Il a été vice-président des EDC (Entrepreneurs et dirigeants chrétiens) et s’intéresse à la doctrine sociale de l’Église, cet ensemble de textes émis par le Vatican sur le monde du travail, la dignité humaine et la justice sociale.
Son fils a fait son coming out à l’âge de 26 ans. « On rencontre une réalité dont on était totalement ignorant. » Avant cela, Olivier Boidin avait défilé dans les rangs de la Manif pour tous en 2013. L’un de ses gendres lui avait alors dit : « Vous êtes sûr que c’est le bon combat ? » Cette remarque n’est pas restée sans effet. « Ça a été pour moi le premier signe, quelque chose dans ma tête a été ébranlé. » Le père de famille avait jusque-là « un système de pensée sur le couple », décrit-il. « Je me disais : La théologie du corps, c’est magnifique ça vous mène droit là où il faut aller. Le chemin était clair, tout ça tenait debout. »
J’ai pris conscience des blessures que la Manif pour tous a infligées aux personnes homosexuelles…
La remarque de son gendre avait créé des fissures, tout comme l’avait fait la doctrine de l’Église catholique en matière de contraception, qu’avec sa femme il avait trouvé « pas réaliste ». « J’avais déjà envoyé promener un certain nombre de sujets, raconte-t-il, j’avais lu Xavier Thévenot et des auteurs qui réfléchissent sur la culpabilité, la place de la morale par rapport à la foi… J’ai été préparé par ces réflexions à l’annonce que m’a fait mon fils. » Malgré cela, avoir fils qui annoncé son homosexualité, « on est très choqué, on est bouleversé », dit-il. « Après, avec un peu de recul, on se dit : Mais cette situation elle ne m’est pas propre, elle est particulière elle n’est pas singulière. »
Olivier Boidin a repensé à tout ce que défend la doctrine sociale de l’Église : « La dignité de la personne, la subsidiarité, la solidarité, destination universelle des biens… Je me suis dit : Mon fils coche toutes les cases ! » Le père de famille a aussi pris conscience des « blessures que la Manif pour tous a infligées aux personnes homosexuelles ». Olivier Boidin rappelle qu’au sein de l’association Reconnaissance, un des sujets « importants », c’est le risque de suicide ou de dépression. « Si l’accompagnement, la compréhension, la bienveillance ne les entoure pas, les jeunes qui découvrent leur homosexualité peuvent prendre des chemins mortifères. »
Claire Bévierre, se sentir « trahie » par l’Église catholique
Pour Claire Bévierre, l’Église catholique a toujours été « une famille ». Elle est issue d’une famille « extrêmement pratiquante ». « Pour moi, la famille c’est quelque chose qui doit protéger le plus faible et qui ne doit pas rejeter. Et donc j’ai eu un sentiment de trahison au moment où j’ai découvert ce que l’Église disait de ma fille et avait fait à ma fille. »
Aujourd’hui âgée de 27 ans, sa fille a fait son coming out à 19 ans. « Elle a débarqué chez nous un soir – elle était en larmes, elle tremblait, elle était bouleversée – en nous disant : Je vais vous faire de la peine, c’est horrible je ne peux pas vous mentir, c’est horrible vous allez être déçus, je suis homosexuelle. » Claire et son mari lui ont « ouvert les bras ». C’est après qu’il a fallu faire « le deuil de l’hétérosexualité de l’enfant ». « On est très triste, décrit Claire Bévierre, parce qu’on a fait des projets pour cet enfant et que ce ne sont pas ses projets. » Vient ensuite l’inquiétude. « Ma fille sera-t-elle heureuse ? Ce sera quoi son modèle ? Je n’en sais rien. Ça sera quoi sa vie ? Je n’en sais rien ? Est-ce qu’elle subira l’homophobie ? Je n’en sais rien. »
Il y a une différence qui concerne 5 % des personnes et celle-là elle n’est pas du tout acceptée, elle est rejetée. Et pour moi c’est une vraie trahison
Le samedi qui a suivi l’annonce, lors d’une messe de mariage, Claire Bévierre a pris conscience du modèle que défendait l’Église. Le mariage entre un homme et une femme, le célibat consacrée. « Ça m’a sauté à la figure, se souvient-elle, ma fille elle est où ? Est-ce qu’elle a une place dans cette histoire ? Ça a été très violent. » Mais ce qu’elle a trouvé plus violent encore, c’est tout ce que sa fille a entendu dire aux scouts, à l’aumônerie. L’Église catholique l’a « tabassée », lui a fait « se sentir mal », « avoir honte de qui elle était »… L’adolescence de sa fille avait été « extrêmement difficile ». « Elle nous a dit après qu’elle se savait homosexuelle depuis toute petite, et à l’adolescence ça été une explosion de rage, de colère, de révolte. On a fait des thérapies familiales, des psychothérapies, et elle nous a dit qu’elle avait tellement honte de qui elle était que ça ne sortait pas même pas auprès des psys. »
Quand Claire Bévierre lit le Catéchisme de l’Église catholique*, elle trouve douloureux de voir sa fille ainsi réduite à sa sexualité « alors qu’elle est tellement plus que ça ! » Et elle se sent trahie par une Église « qui nous dit tout le temps qu’il faut accueillir la différence quand elle est handicap ». « Il y a une différence qui concerne 5 % des personnes et celle-là elle n’est pas du tout acceptée, elle est rejetée. Et pour moi c’est une vraie trahison. »
* « L’homosexualité désigne les relations entre des hommes et des femmes qui éprouvent une attirance sexuelle exclusive ou prédominante envers des personnes de même sexe… S’appuyant sur la sainte Écriture qui les présente comme des dépravations graves… la Tradition a toujours déclaré que « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés ». Ils sont contraires à la loi naturelle, ils ferment l’acte sexuel au don de la vie, ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable, ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas. » (Extrait du Catéchisme de l’Eglise catholique)
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